Un acte de gestion à manipuler avec précaution

Un acte de gestion à manipuler avec précaution

S’il peuvent être gratifiant pour un assureur de faire passer une transaction pour un geste commercial, il risque de se priver de certains droits.

Le geste commercial est effectué par un assureur après la réalisation d’un sinistre . Il a pour effet d’accorder un droit à garantie à un assuré qui ne l’avait pas acquis (en cas de risque exclu par exemple) ou qui l’avait perdu (en cas de déchéance, de prescription, etc.) l’assureur(1) conscient de son droit de ne pas délivrer la prestation d’assurance, renonce  néanmoins à l’exercer.

La vide des affaires donne de nombreux exemples de ces actes, apparemment sans contrepartie directe, que le droit civil qualifie de « gratuits » (2). L’auteur de ces gestes est en réalité animé d’un intérêt commercial : fidéliser ses assurés en comptant sur les retombées positives que ces actes a priori désintéressés peuvent générer. La plupart es exceptions de non garantie (3) qui permettent à l’assureur de refuser sa garantie peuvent faire l’objet d’une renonciation, puisque chacun est libre de renoncer à ce qui a été introduit en sa faveur (4).

Ainsi, le geste commercial peut faire bénéficier l’assuré d’une extension de la durée de sa garantie d’assurance (par une renonciation de l’assureur à la suspension ou à l’extinction des garanties), de la couverture d’un risque plus étendue que celle définie au contrat (par une renonciation à une limitation du risque) de la couverture d’un risque aggravé (par une renonciation à la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle ou renonciation au droit de demander une prime majorée), d’une augmentation du montant de sa garantie d’assurance (par une renonciation au droit de se prévaloir d’un plafond de garantie), etc.

Les magistrats ont rarement à connaître de ces gestes commerciaux puisqu’ils sont, par définition, favorable aux assurés et effectués sur l’initiative de l’assureur. Ils peuvent néanmoins intervenir soit en cas de contestation par l’assureur de l’existence du geste commercial, soit en cas de contestation par l’assuré ou par un tiers d’un recours exercé par l’assureur à la suite d’un geste commercial.

Les composantes du geste commercial

Le geste commercial ne saurait exister sans que l’assureur ne soit animé d’un intérêt commercial, d’une volonté de renoncer à une exception de non-garantie (ce qui suppose qu’il ait connaissance de son droit de refus) et du souhait de faire bénéficier l’assuré d’un droit à une présentation d’assurance, alors même que celui-ci en était privé.

L’intérêt commercial de l’assureur

Seul intérêt du commerce est à l’origine des geste commerciaux. Il réside fondamentalement dans l’intérêt spéculatif de l’assureur qui souhaite développer un courant d’affaires. L’intérêt commercial peut apparaître en amont de la conclusion du contrat d’assurance (il peut ainsi être la cause d’une offre promotionnelle de contrats d’assurance), ou après la conclusion d’un tel contrat (il sera alors caractérisé par le geste commerciale de l’assureur). En toute hypothèse, l’intérêt humanitaire, susceptible de donner lieu à des gestes humanitaires par l’assureur (voir article p.59)

Le droit de refuser la garantie

L’assureur doit renoncer en toute connaissance de cause, ce qui induit la question de l’existence du geste commercial. La renonciation à se prévaloir d’une exception de on-garantie ne doit pas simplement exprimer un doute de l’assureur quant à l’attitude à adopter ou résulter de l’ignorance de son droit de refuser sa garantie.

Mais il n’est pas rare qu’un simple doute ou une faute de gestion soit qualifié par les tribunaux de geste commercial, en faveur de l’assuré ou du bénéficiaire de la prestation. Ainsi, l’assureur, qui a connaissance d’une irrégularité du contrat d’assurance et qui procède au versement d’une prestation, est présumé avoir renoncé à contester la validité du contrat d’assurance (5) (sur le risque de qualification d’un acte de gestion en geste commercial, voir encadré p60).

En revanche, lorsque le geste commercial est effectué avant que l’assureur n’ait connaissance du droit d’invoquer une exception de non garantie, le versement de la prestation d’assurance ne remet pas en cause le recours de l’assureur. Dans un arrêt du 9 décembre 1992 (6), la Cour de cassation a ainsi accueilli l’action en nullité du contrat d’assurance intentée par un assureur après le versement d’une prestation « à titre commercial »

La volonté de favoriser l’assuré

L’assureur doit exprimer sa volonté de privilégier un assuré, ce qui induit la question de la portée du geste commercial. Lors de l’exécution d’un contrat d’assurance, l’assuré, sans y être contractuellement tenu. Cependant , ce geste peut avoir un champ d’application plus limité que celui de couvrir un risque d’assurance. Ainsi, un assureur peut prendre en charge des frais de procédure « a titre commercial » sans pour autant avoir l’intention de prendre en charge l’éventuelle dette de responsabilité.

La jurisprudence relative à l’intervention de l’assureur de responsabilité au procès de son assuré révèle que la participation de l’assureur ne traduit pas nécessairement sa volonté de garantir un risque auquel il n’était pas tenu. Dans un arrêt rendu le 7 mars 1995, la Cour de cassation a eu à apprécier le geste d’un assureur qui avait accepté, a titre purement commercial, de couvrir les frais d’un procès. Les magistrats ont déterminé l’étendue du geste commercial et concluent que le comportement et l’assureur, en l’occurrence la défense de l’assuré, n’exprimait pas sa volonté de renoncer à une exclusion ou à une limitation de garantie (7). On notera enfin que la volonté de l’assureur d’accorder une faveur ne peut être appréciée qu’au regard du sinistre considéré.

Sa qualification jurisprudentielle

La loi sur le contrat d’assurance ignore l’existence du  « geste commercial » de l’indemnité versée «  a titre commercial ». Et même, dans une certaine mesure, celle de la transaction : la seule référence à celle-ci est, en effet, relative à l’inopposabilité de la transaction intervenue en dehors de l’assureur dans les assurances de responsabilité civile. L’article L 124-2 du Code des assurances dispose, en effet, que « l’assureur peut stipuler qu’aucune reconnaissance de responsabilité, aucune transaction, intervenues en dehors de lui, ne lui sont opposable ».

En revanche, la jurisprudence fait état de ces accords commerciaux dont l’intérêt de la qualification n’échappe ni à l’assureur lui-même, ni à l’assuré, ni aux juges. Lorsque les magistrats concluent à l’existence d’un geste commercial à partir d’un faisceau d’indices), une distinction est alors opérée entre les gestes effectués en exécution du contrat d’assurance et les gestes détachables de l’exécution de ce contrat. Ainsi, l’auteur du geste commercial peut être réputé avoir agi « en cette qualité » (8) dans le cadre d’un contrat d’assurance, ou l’indemnité versée peut être qualifiée « d’indemnité d’assurance » (9)

La qualification jurisprudentielle du geste commercial permet aux juges de déterminer si son auteur conserve tous les droits qui lui sont attribués par le Code civil et par le Code des assurances en qualité d’assurance ou si, au contraire ; il est dépourvu de ces droits. Cette qualification, qui n’a pour objet que de déterminer les droits de recours de l’assureur, n’est pas réellement  satisfaisante dans la mesure ou elle repose sur une définition imprécise de ce qui est « dans » ou « hors » du contrat d’assurance. Il serait préférable de procéder à une qualification juridique du geste effectué par l’assureur, e, fonction des concessions de l’assureur et, le cas échéant, de l’assuré. Le « geste » apprécié pourrait ainsi être qualifié de donation, en l’absence de prétention de l’assuré, de geste commercial stricto sensu en cas de prétentions des deux parties non accompagnées d’une concession de l’assuré, ou enfin de transaction en cas de concessions réciproques de l’assuré et de l’assureur (10)

Les droits de recours de l’assureur

L’auteur du geste commercial est-il subrogé dans les droits et actions de l’assuré après le paiement à titre commercial et peut-il agir en répétition de l’indu ?

Le droit de subrogation

La subrogation de l’assureur est susceptible de résulter d’une convention conclue à cet effet (subrogation conventionnelle prévue par l’article 1250 du Code civil) ou, en dehors de toute convention, de la loi (11). La subrogation conventionnelle est celle par laquelle un créancier reçoit son paiement d’une personne autre que son débiteur, et la « subroge dans ses droits, actions, privilèges ou hypothèques contre le débiteur ». la gratuité de la garantie d’assurance n’a pas d’incidence sur la validité d’une subrogation conventionnelle dans la mesure ou elle dépend d’un accord de volonté.

En revanche, il convient de rechercher si l’assureur bénéficie du droit de subrogation légale lorsqu’il a versé une prestation sans y être tenu par un contrat d’assurance. La subrogation légale est définie ainsi à l’article L  121-12 du Code des assurance : « l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers, qui, par leur fait ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur » L’article 1251-3e du Code Civil dispose que « la subrogation a lieu de plein droit au profit de celui qui, étant tenu avec d’autre ou pour d’autres au paiement de la dette, avait intérêt à l’acquitter ». Or, le geste commerciale semble exclure, en toutes hypothèse, l’action subrogatoire de l’assureur. « l’assureur qui procède a un paiement gracieux et humanitaire ne peut invoquer la subrogation de l’article L 121-12 du Code des assurances puisqu’il n’agit pas en qualité d’assureur » (12)

En premier lieu, en effet, le droit de subrogation de l’assureur est subordonné à l’existence d’une obligation de garantie. Dans un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, le 9 janvier 1997 (13), les magistrats ont procédé à l’analyse d’une indemnité versée par un assureur pour statuer sur l’éventuel droit de subrogation de ce dernier. En renonçant à invoquer une clause d’exclusion, l’assureur avait procédé  à l’indemnisation de son assuré et invoqué le droit de subrogation légale, en application de l’article L 112-12 du Code des assurances. Les magistrats de la cour d’appel de Paris ont refusé ce droit au motif suivant : « Pour que l’effet subrogatoire se produise, il faut non seulement que l’assureur ait indemnisé l’assuré, ce qui est indéniable en l’espèce, mais encore qu’il ait payé une « indemnité d’assurance », ce qui implique qu’il ait exécuté une obligation qu’il avait contractée par police ‘assurance. » La cour poursuit : »en indemnisant leur assuré bien qu’une clause de la police d’assurance les exonérait de toute obligation de garantie, le groupe P ne se trouvait pas dans les condition de l’article L 121-12 susvisé : qu’ils ne sont pas fondés a se prévaloir d’une quelconque subrogation légale de leur assuré » (14).
en second lieu, lorsque la prestation est versée en exécution d’un contrat d’assurance, le droit de subrogation de l’assureur  est limité au montant de la prestation auquel l’assureur était tenu en application du contrat. Ainsi, l’assureur qui verse une prestation d’assurance d’un montant supérieur au plafond de garantie n’est pas subrogé par l’excédent (15).  Ce principe a été établi par la Cour de cassation dans un arrêt du 13 novembre 1984 (16). En l’espèce, la première chambre civile à cassé l’arrêt d’appel en ce qu’il avait reconnu le droit de subrogation de la ciam pour l’excédent de ce qu’elle devait : « attendu qu’en statuant ainsi alors que la dette de la Ciam envers son assuré était limitée à un plafond de 100 000F, et qu’elle ne pouvait donc bénéficier de la subrogation légale pour le surplus des sommes qu’elle avait réglées sans u être tenu, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

L’action en répétition de l’indu

Toutes les dois qu’il y a indu, c’est à dire accomplissement d’une obligation qui n’existe pas ou à laquelle on n’est pas tenu, celui qui reçoit le paiement s’enrichit injustement au profit de celui qui l’a fait. Il en résulte qu’il répond des encaissement perçus à tort dans le cadre de l’action dite en répétition de l’indu que règlementent les article 1376 et 1381 du Code civil (17). L’assureur qui effectue un geste commercial peu-il ensuite agir en répétition de l’indu ? Une jurisprudence constante considère qu’un assureur ne peut agir en répétition de l’indu en fondant son action sur une exception à laquelle il avait renoncé en connaissance de cause. Comme nous l’avons dit, il est incontestable que l’assureur qui verse une prestation en connaissance d’une non garantie est présumé avoir renoncé à contester la validité du contrat d’assurance.

Dans une espèce soumise à l’appréciation de la cour d’appel de Paris le 19 décembre 1979 (18), un assureur avait précédé le versement de sa prestation, e exécution d’un contrat d’assurance de choses, d’un courrier adressé au courtier dans lequel il précisait : « Nous acceptons de participer a titre purement commercial dans ce sinistre » Invoquant la déchéance du droit à garantie de l’assuré à la suite du règlement, l’assureur demande le remboursement de l’indemnité versée. La cour d’appel a rejeté la demande car l’assureur doit « être considéré comme ayant manifesté l’intention de renoncer à l’application de la déchéance en ayant offert de participer à titre purement commercial dans le sinistre » (19). En revanche, l’assureur peut intenter une action en répétition de l’indu en se prévalant d’une autre exception à laquelle il n’a pas renoncé ou s’il n’avait pas connaissance, au moment du règlement , d’une exception de non-garantie ou de non règlement.

Il est certain que les gestes commerciaux constituent des opérations délicates à manier en assurance (20). Cette difficulté résulte principalement de l’absence de cohérence dans la qualification jurisprudentielle de ces gestes en faveur des assurés, et partant d’une détermination aléatoire des droits et recours e l’auteur du geste commercial. Comment lier ou détacher un geste commercial. Comment lier ou détacher un geste commercial d’un contrat d’assurance ? La détermination des droits e recours serait plus aisé, si l’acte affecté était qualifié de donation, de geste commercial stricto sensu ou de transaction.

Pierre BICHOT | La Tribune de l’assurance – N°41 – décembre 2000

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2017-07-05T14:46:23+00:00 Articles complets|0 commentaires

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